Leçon n°16 – Sortir d’un état dépressif

Introduction

L’emploi inconscient et l’ignorance des défauts du langage courant n’affectent pas seulement Monsieur et Madame Toulemonde. L’univers des philosophes (qui ont été les premiers à pratiquer l’introspection et la recherche du sens) et celui des psy sont particulièrement atteints. Le titre de cette leçon nous servira d’exemple pour comprendre comment une formulation fausse engendre une représentation fausse qui conduit à une impasse existentielle et bloque toute possibilité d’évolution de la situation.

Le fonctionnement inconscient ordinaire de notre intellect ne consiste pas seulement à appliquer la logique A (abr. aristotélicienne) du tiers-exclus (oubien-oubien, soit-l’un-soit-l’autre) apprise par nous à l’école comme le calva dans le biberon. Il est aussi capable de fabriquer en même temps d’une impressionnante quantité d’amalgames, confusions, glissements de sens et approximations qui restent pour nous presque toujours inconscients. D’où l’importance d’apprendre à utiliser une méthode de discernement pratique.

 

Etape N°1: Recherche des Opposés

Cherchons d’abord à trouver les mots qui expriment un sens ‘opposé, appelés en grammaire les ‘antonymes’. Pourquoi? Parce que ces ‘opposés’, – qui ne sont ni visibles, ni formulés -, resteront en ‘ombre’ c’est-à-dire, en arrière plan de la conscience tant que nous ne les aurons pas retrouvés, observés, contemplés, et rendus ainsi conscients.

«Sortir» s’oppose évidemment à «entrer», et à rentrer (entrer de nouveau). «Dépression» s’oppose à «compression», ou encore à «surpression».
Et le terme «État»? Que diriez-vous? Plus difficile, n’est-ce pas.

Exploration du piège:

Le terme «État» fait partie des mots qui se sont formés à partir du verbe être. En grammaire, il s’agit d’un substantif du verbe «être». En philosophie, il exprime que ce verbe «être» (l’essence) substantivé ne désigne plus un événement immatériel, invisible, absolu et immuable; ici, l’énergie de «conscience pure et essentielle» du verbe être prend un peu de substance, un peu de consistance et d’existence. En théologie, cette étape correspond à la transition entre essence et existence, une première sorte d’incarnation immobile.

Les mots voisins et dérivés de «état» sont par exemple établissement, étape, estampe, mais aussi stature, statut, statue, station, strate, stand, stade. Etc. Ils expriment tous un sens d’immobilité, ou d’immobilisation. Tout cela nous vient d’Aristote qui décrivait et catégorisait un monde essentiellement statique, justement. Ce n’est pas un hasard si nos dictionnaires occidentaux ignorent le mot et le concept d’«impermanence» issus de la pensée hindoue classique et du bouddhisme, et pas de celle d’Aristote.

Les termes qui vont exprimer un sens ’opposé’, sont par exemple le mouvement, le déplacement, ce qui bouge, ce qui évolue, ce qui avance, ce qui progresse, en changeant éventuellement de forme, d’énergie, de destination etc.

 

Etape N°2: Recherche d’un (ou +) 3ème terme

Entre «Sortir» et «entrer», je trouve «rester» (etym. re-stare, ce qui veut dire s’arrêter une nouvelle fois). Sortir et entrer indiquent un mouvement, rester indique l’absence de mouvement. Il s’agit d’une sorte de position neutre.

Entre «Dépression» et «compression», je trouve «pression». Il s’agit là aussi d’une sorte de position neutre, entre la dé-pression qui indique une chute de pression vers le bas (de-) et la com-pression qui indique le rassemblement de la pression vers de centre,

Entre «État» et «mouvement», je trouve… une vraie difficulté.

Exploration du piège:

Dans notre langage courant, les «opposés» s’utilisent d’autant plus facilement qu’ils concentrent l’attention de l’interlocuteur, renforcent l’impact émotionnel d’une idée, développent l’intensité sentimentale de ce qui est dit. Les techniques publicitaires fonctionnent de la même façon. «Génial» signifie en réalité «ça me plaît bien, cela me convient». «Fabuleux» remplace «ça m’intéresse, en effet». «Immonde» veut dire «je trouve ça plutôt laid» etc.  Tant que mon système de compréhension personnel reste bloqué sur le sens des termes opposés, coincé dans l’énergétique du tiers-exclus, je reste fasciné par cette dualité comme une grenouille pétrifiée par les yeux d’un serpent. Cette fascination et ce conditionnement ordinaire à fonctionner en ou-bien-ou-bien nous interdisent l’usage de l’esprit de mesure, des proportions, des pourcentages et des probabilités qui décrivent plus fidèlement la réalité du monde que ces «cartes sans territoire».

Changer de niveau et «penser en termes de processus»

Le terme «état» ne se trouve pas au même niveau d’abstraction que les deux premiers («sortir» et «dépression»), qui peuvent référer à des réalités concrètes. Le piège réside ici dans l’utilisation d’une façon de parler de type «physique» à propos d’un concept «méta-physique» (au-dessus du physique) qui ne se rapporte qu’à des idées et configurations immatérielles par définition.

Est-ce qu’il existe ‘dans la nature’ quelque chose (voir ci-dessous étape 3) que je puisse appeler un état? Non, bien sûr. Il s’agit donc d’un concept. Au niveau des concepts, je peux définir un «état» comme un «mouvement» qui s’est arrêté. Je peux définir l’arrêt comme un mouvement qui a cessé d’exister. Mais ce faisant, je ne ‘sors’ pas de la logique A qui m’oblige à me représenter le mouvement et l’immobilité comme des termes opposés.

Pour notre logique occidentale, ce qui se rapproche le plus précisément du concept d’«impermanence» utilisé par les occidentaux est le concept de «processus» De ce point de vue, les concepts d’immobilité et de mouvement constituent des cas particuliers et provisoires. Les termes état et processus ne sont pas au même niveau. Penser en termes de processus et non pas seulement en terme de mouvement ou d’état constitue une signature de la logique non-aristotélicienne (abr. Ã), en ce qu’elle permet de quitter la sclérose des façons de voir catégoriques, photographiques, statiques et parcellaires. Elle permet de construire des représentations du monde vivantes, changeantes et adaptées à leurs environnements.

 

Étape N°3: Dépistage d’une objectification

Quittons maintenant les absolus opposés que nous avons repérés pour dépister une objectification, à savoir la confusion de niveaux entre un mot qui se rapporte aux choses (matérielles) et un mot qui se rapporte à des concepts (immatériels). Pour ce faire,  rien de tel que la méthode R. Devos. Je pense par exemple au sketch «le Bout du Tunnel» dans lequel il explique comment il est impossible d’atteindre le bout du tunnel.

Je peux entrer, sortir, rester etc., dans une pièce de ma maison, dans ma baignoire, dans une exposition, dans le métro etc. Ce vocabulaire relatif à des données spatio-temporelles simples correspond à son ‘objet’ et décrit la réalité de façon suffisante. Mais «sortir» d’une dépression, cela veut dire quoi? Pour que je puisse en sortir, il faut que j’y soit un jour entré. Quand et comment cela s’est-il produit? Mystère! Rien de précis, en vérité. Il s’agit d’un vocabulaire imagé, artistique, analogique, symbolique, romantique, poétique, etc., mais certainement pas technique.

Exploration du piège:
En langage courant, nous employons très souvent le mot «chose» alors qu’il s’agit plutôt de façons de faire ou de parler, et dans tous les cas, d’événements, ou d’attitudes immatérielles. Par exemple:

  • Quelque chose me gène dans ces façons de faire.
  • La vie de couple est une chose étrange.
  • Je ne comprends rien à toutes ces choses politiques,
  • Dans sa conférence, il passait d’une chose à l’autre.
  • Ces décisions sont de mauvaises choses.
  • Voilà une bonne chose de faite. Etc.

Cette confusion entre événement matériel et événement immatériel n’est pas récente. Déjà en langue latine, la res-publica, qui signifie la chose publique et qui a donné en français le mot République, désigne l’ensemble des  façons de diriger les affaires humaines. Chaque fois que nous confondons deux ou plusieurs niveaux (matériels et immatériels, vivant et inanimé, etc.) nous introduisons des facteurs de trouble, d’erreur et de confusion dans notre système d’évaluation et de compréhension du monde et par conséquent dans nos comportements et dans nos réalisations. Les choses, les êtres vivants, les événements et les environnements ne doivent pas être confondus, et nos façons d’en parler non plus.

 

Etape N°4: Dépistage d’une confusion de niveau

Quid du terme «dépression»? De quoi est-il véritablement question? Le terme «pression» est employé en météorologie (hautes et basses pressions atmosphériques) et en mécanique des fluides. Lorsque nous ouvrons un robinet, il coule de l’eau sous pression, sans laquelle elle ne remonterait pas les tuyauteries. Lorsqu’elle s’évacue par les tuyauteries, ‘on’ dit qu’elle s’écoule par gravité. En électricité, le terme de même valeur que «pression» est le terme «intensité» (du courant). Dans les deux cas, le terme «pression» renvoie à une question de puissance, une capacité énergétique, qui s’exprime aux niveaux physiologiques et/ou psychologiques.

L’utilisation des molécules chimiques dans les médicaments permet de faire l’expérience d’états de conscience dissociés. Par exemple en chimiothérapie, l’activité psychique, (le ‘moral’) peut se trouver au beau fixe pendant que l’activité corporelle (le ‘tonus’) se trouve littéralement vidée de toute énergie. Inversement, la dépression psychologique, qui vide quelqu’un de toute envie de (sur)vivre, ne s’accompagne pas nécessairement d’une mauvaise santé physiologique. Parfois, la dépression physiologique déclenche une dépression psychologique. La réciproque peut également se produire. Sans parler de bien des ‘maladies’ qui sont indétectables à leur début, sauf par voie d’analyse de sang ou d’examen radio. Par ailleurs, il existe bien d’autres niveaux d’existence que ni les psy ni les médecins ni les philosophes ne sont capables d’aborder (faute d’apprentissage approprié) et qui méritent d’être explorés: sémantiques, énergétiques, magnétiques, subtils, etc.

Exploration du piège:

Ici, comme dans toutes les disciplines qui s’occupent de comprendre comment fonctionne la vie des gens, une erreur de diagnostic peut avoir des conséquences graves. Ce n’est pas un jeu. Alors, les solutions doivent elles être recherchées aux niveaux psycho? ou aux niveaux physio? ou les deux? En l’occurrence, le terme «dépression» ici peut avoir un sens précis aux niveaux physiologiques et un autre sens précis aux niveaux psychologiques. Un train peut en cacher un autre. Le mot «La dépression» utilisé sans précision de niveau et sans contexte n’a pas de sens utilisable.

Dans la mesure où la question posée reste à ce niveau de généralisation et d’imprécision, elle ne veut rien dire et mérite d’être rejetée en l’état. Ce n’est pas parce que quelqu’un fait du bruit avec la bouche qu’il produit du sens.

 

Comment utiliser cette connaissance dans votre existence?

Dans notre cas de figure présent, l’examen des structures implicites et inconsciente de [Comment sortir de la dépression] met en évidence que la structure de ce vocabulaire n’est pas appropriée à son objet. Autrement dit, la structure de cette carte ne correspond pas à celle du territoire qu’elle est censée représenter.

Non seulement ces façons de parler ne décrivent pas correctement ni ce qui se passe, ni ce que vous voulez dire, mais encore, vous ne pouvez rien en faire, et enfin, elles vous empêchent même de vous représenter correctement ce que vous avez à comprendre pour mettre en œuvre les moyens appropriés pour faire évoluer la situation. Vous faites avec eux du bruit avec la bouche, sans vous apercevoir que vous n’exprimez au mieux qu’une absence de compréhension.

Chaque fois que cela vous est possible, observez comment vos formulations expriment automatiquement et inconsciemment vos confusions. Observez comment vous êtes le plus souvent inconscient(e) que vos façons de parler sont générales, imprécises, confuses. Observez comment vous partez du principe inconscient (et absolument faux) que celui à qui vous parlez comprend directement par principe ce que vous dites et ce à quoi vous pensez.

L’utilisation d’une structure verbale fausse par rapport aux faits donne toujours les mêmes résultats: l’erreur, la confusion, l’impasse, etc.. En résumé, dès lors que vous n’êtes pas en conversation de salon et qu’il importe pour vous de trouver une façon (réglage de conscience, configuration mentale) correcte de chercher et de trouver des solutions, cessez simplement d’employer des formulations et des vocabulaires inadaptés créateurs d’impasse et de confusion. Il s’agit d’une application de «lâcher prise». Et alors, comment exprimer mieux ce dont il est question? À vous de jouer. Dans la nature, il n’existe pas de «dépression» dont vous puissiez «sortir». Cherchez des façons de parler plus appropriées à propos de ce qui se passe, notamment à partir de l’idée de «configuration mentale».