Leçon n°23 – Le piège de la personnification

Un piège dans lequel tombent inconsciemment bien des psy, praticiens et étudiants de l’activité mentale consiste à utiliser (parler-penser) les termes l’«Inconscient», le «Conscient», le «Moi», «Moi-même», le «Soi», le «Surmoi», etc., voire n’importe quel autre processus mental comme s’il s’agissait de substantifs; autrement dit, pour employer le vocabulaire d’Aristote et de St Augustin, comme s’il s’agissait d’«Êtres doués de substance». Cette façon automatique d’utiliser le langage courant fonctionne de façon presque toujours inconsciente et doit être considérée comme hautement toxique en T.I.

Ce processus mental pathologique est appelé «personnification» en ce qu’il identifie et confond en pratique un «concept» immatériel-intellectuel et une «personne» vivante. Sa structure ressemble beaucoup au processus d’objectification (identification concept/objet, confusion d’un concept immatériel avec un objet matériel). Or, la confusion d’un substantif et d’un adjectif qualificatif se produit par définition d’abord aux niveaux silencieux et inconscients. C’est pourquoi ces identifications/confusions conduisent de façon certaine à des confusions de sens, des erreurs de diagnostic et à des impasses d’existence aux conséquences souvent dramatiques.

Nous trouvons ce piège à l’œuvre par exemple dans bien des discours politiques et/ou religieux: La République, la Justice, la Paix, Le Divin, la Maladie, la Liberté, l’Amour, la Mort, etc., Cet emploi consiste à ignorer[1] qu’il est question d’un concept, juste une façon de parler, pure création de l’esprit vide de sens tant que les contextes n’ont pas été suffisamment précisés. Au contraire, ‘on’ s’exprime comme si ces mots étaient une personne vivante. La France (avec Marianne), la Mère-Patrie, (la statue de) la Liberté, à N.Y., la Justice (tenant la balance), Le Christ est Amour, (L’Église est l’Épouse du Christ). Etc.

Ne me dites pas: «Mais alors, ‘on’ ne peut même plus employer ces mots là?!». Nous sommes ici dans le contexte du Travail Intérieur et à ce titre nous avons besoin d’un vocabulaire approprié au déminage des processus mentaux toxiques (relisez le Vocabulaire en leçon n°2). En l’espèce, compte tenu des confusions qu’il induit en pratique, ce vocabulaire mérite d’être systématiquement invalidé. Donc continuez à employer ces mots là en politique, en philosophie, en poétique, en religion ou dans n’importe quel système intellectuel qui ne réclame pas de résultat technique efficace si cela peut vous faire plaisir, mais restez au moins conscient(e) de leurs imprécisions, de leurs limites et de leur toxicité.

De toute façon, ne restez pas bêtement croyant(e)  aveugle et sourd(e). Débrouillez vous pour amener ceux qui parlent de la sorte à préciser ce qu’ils veulent dire jusqu’à ce que leur discours soit au moins pour vous dépourvu d’ambigüité. Vous verrez à quoi cela sert de préciser!

Ce processus de personnification fonctionne dans notre culture occidentale probablement depuis l’introduction de la pensée conceptuelle rhétorique romano-chrétienne en Gaule. Il désigne la projection mentale d’une charge énergétique humaine sur une image archétypique interne et/ou externe et/ou sur un individu vivant.

C.G. Jung était conscient du problème; dans La Dialectique du Moi et de l’Inconscient, (1933) il écrit: «Le lecteur trouvera peut-être comique que je parle de l’inconscient comme s’il était une personne. Loin de moi pourtant l’idée de vouloir accréditer le préjugé que je considère l’inconscient comme une entité personnelle. L’inconscient est un ensemble de processus naturels qui sont situés par delà le plan personnel et humain. Seule notre conscience est  ‘personnelle’.»

C’est pour se dégager le mieux possible de ces processus inconscients (tant collectifs que personnels) aux fins d’en transmuter l’énergie vivante que leur observation constitue pour tous les Chercheurs de Vérité une vigile ‘non-active’ nécessaire et fondamentale. Le Travail Intérieur ne peut pas fonctionner sans cette intériorisation qui doit être patiemment expliquée, comprise, puis entraînée pour s’intégrer à terme au fonctionnement conscient et habituel de l’activité mentale.

Au-delà du T.I., et de façon ordinaire, le défaut d’intériorisation constitue à la fois un handicap, une carence et une  cause fondamentale d’erreur et de confusion. En effet, tant que nous ne prenons pas conscience que notre organisation mentale projette en permanence de façon organique et naturelle la totalité de nos émotions, sensations, imagination, interprétations, etc. sur le monde entier à l’extérieur de notre peau, nous n’avons aucune chance de différencier les réalités extérieures de nos réalités intérieures. Nous constituons alors pour les escrocs et illusionnistes de tout poil des ‘pigeons’ merveilleux prêts à croire n’importe quoi. Mais à la sortie, il faut toujours payer la facture des erreurs, bavures, confusions, bévues et autres catastrophes qui sont les résultats directs résultats de cette ignorance.

Pour comprendre ce que signifie l’adjectif «inconscient», laissons tomber toutes les définitions intentionnelles, càd celles qui commencent par: «l’inconscient, c’est…», suivi de [n’importe quoi qui peut se parler-penser]. Utilisons plus simplement cet exemple de la Télévision: lorsque je regarde l’écran et que je «suis inconscient» de ce qui se passe autour de moi, cela veut dire que mes Attentions 2de, 3ème et 4ème sont vidées de leur efficacité, toute l’énergie-attention-conscience disponible étant utilisée par l’Attention 1ère capté/capturée par les images sur l’écran. Inconscient signifie donc ici que mon activité mentale se trouve littéralement ‘débranchée’ et n’a aucune conscience de ce que je viens d’exprimer.

La personne dont l’Attention 1ère se trouve ainsi captée, capturée, se trouve en état d’aveuglement spécifique, ne sachant même pas qu’elle ne sait pas. Dans cet exemple, dès que l’Attention 1ère focalise toute l’énergie disponible, «je» ne suis conscient que de ce qui se passe sur l’écran… de ma petite conscience. Autrement dit, tous les autres événements extérieurs visibles mais aussi le reste de mon activité mentale intérieure et invisible ne me sont pas perceptibles. Je fonctionne «hors de moi», aveuglé, hors conscience. C’est la définition même de l’aveuglement spécifique.

La structure de cet exemple est applicable à l’observation de n’importe quel fonctionnement mental: les émotions et sentiments perturbateurs (colère, envie, avidité, jalousie, tristesse, etc.),  les besoins primaires (faim, sommeil, désir, etc.), ainsi que les comportements d’addiction (drogue, alcool, jeu, sexe etc.,). Le comportement ‘évident’ (étym: celui qui se voit) n’est pas celui qu’il convient d’observer.

Nous savons (par les récentes neurosciences) que nous fonctionnons en mode ordinaire sur la proportion moyenne de 80% de paramètres inconscients pour 20% de conscients. Dès lors, si nous cherchons à obtenir des représentations les plus fidèles possibles de «la réalité», nos efforts doivent porter sur l’ensemble des techniques qui permettent aux configurations non-conscientes – qui polluent ordinairement ma construction du monde – d’accéder à notre conscience individuelle. Celle-ci (que nous appelons «moi») se construit alors comme une résultante en particularisation par cette seule mise en lumière des zones obscures, et ce, au cours du Processus d’Individuation. Pour bien comprendre cette ‘conscience’ dont je parle, c’est le moment d’aller relire la leçon n°15 (les 9 Consciences).

Pour réaliser cela, il existe plusieurs moyens qui passent par la recherche systématique dans notre existence d’un contact conscient avec:

  1. Les formulations répétitives, bloquées et stéréotypées qui signalent presque toujours une ignorance à l’œuvre, et donc, une rectification possible par l’apprentissage. Leur rejet-invalidation et l’apprentissage de structures de formulation correctes suffit à sortir l’organisation mentale des ‘ornières’ neuro-linguistiques et neuro-sémantiques.
  2. Les manifestations ordinaires de l’activité mentale inconsciente (rêves éveillés ou non, actes manqués, pensées parasites, intuitions, impulsions créatrices, etc.,) de façon à provoquer leur émergence dans le champ de conscience au présent. La contemplation, et l’analyse de ces phénomènes permet d’opérer leur déminage systématique, ainsi que la récupération et le recyclage de l’énergie dont ils sont porteurs.
  3. Les comportements génétiquement hérités, ceux conditionnés par le langage courant, et ceux d’origine collective consciente (il-faut-il-faut-pas, etc.,) et collective inconsciente (mythologies et archétypes). Tous ceux-là ont besoin d’être mis en lumière (dé-intégrés) et vécus en conscience au présent pour permettre leur actualisation, et à la suite leur intégration consciente.

[1] Volontairement, et il s’agit alors d’une stratégie ‘normale’ d’illusion, de mensonge, de manipulation, d’escroquerie, etc.
Involontairement, et il s’agit alors souvent d’inconscience, d’aveuglement, d’ignorance, d’incompétence, etc.
Plus ou moins (in)volontairement, et il s’agit d’une sorte de mixage d’in/conscience variable pour chaque individu qui est porteur de son style personnel d’aveuglement spécifique.