10 – Occuper la place… de l’Ego

Ce mode d’emploi fait suite à la leçon n°40 qui porte le même titre. A ce titre, il paraît utile de la lire d’abord, pour comprendre les contextes qui sont en jeu.

Occuper la place: telle est l’idée fondamentale qui anime les Entraînements du Travail Intérieur. La configuration mentale de référence qui permet de ressentir, dépister et identifier les ressentis de souffrance porte le nom de Calme Mental (chiné en tibétain). Cette situation d’absence de perturbation fondamentale permet de faire l’expérience de la tranquillité. A contrario, elle permet aussi d’identifier toutes les situations désagréables comme étant des occasions de souffrance puisqu’elles perturbent l’état ‘naturel’ de tranquillité.

Par expérience, j’ai pu vérifier que le ressenti de calme mental quasi constant est le résultat direct d’au moins trois entraînements conjoints effectués de façon constante et en conscience[1] pendant plusieurs années de suite:

1°) la répétition chantée (à voix haute, ou basse, ou parlée en esprit) du mantra tibétain: Om mani padmé houng, utilisée le plus souvent possible, quels que soient les événements intérieurs (émotions perturbatrices et positives) et de préférence lorsqu’il n’y a pas de perturbation; en système tibétain, elle a pour effet de connecter notre présence à celle du Maître et de retrouver plus facilement la configuration mentale de tranquillité, d’ouverture et d’éveil’ que nous expérimentons chaque rencontre avec lui. D’autres mantras fonctionnent également. L’essentiel est qu’il soit donné/transmis par un Maître dans le cadre d’un apprentissage spirituel et pas choisi par ‘nous’, c.à.d. en réalité ego-nous.

2°) la répétition (à voix haute, ou basse, ou parlée en esprit) de la phrase:

Je ne suis pas mon corps,
je ne suis pas mon esprit,
je ne suis pas mes sensations,
je ne suis pas mes émotions,
je ne suis pas mes sentiments,
je ne suis pas mes perceptions ;
quoiqu’il arrive et que je perçoive,
je ne suis pas tout cela.


Utilisée à chaque fois que se produit une perturbation de conscience et que je l’identifie par l’observation de la cessation de l’état de calme mental, elle constitue la mise en œuvre du processus de désidentification en conscience corporelle et l’accompagnement indispensable…

3°) du «Réglage de départ». Cet exercice de yoga [qui ne peut être enseigné, transmis et activé qu’en présence physique, de guide à étudiant(e)] n’est pas un réglage à faire ‘une fois pour toutes’, par exemple, au réveil. En méditation assise et dynamique, il a pour effet d’empêcher l’Ego de monopoliser l’énergie d’attention et de la projeter sur des événements extérieurs.

En situation d’existence ‘ordinaire’, il consiste notamment à ramener l’attention au centre du bas ventre et dans la perception des plantes de pied à chaque fois que nous repérons le démarrage du Trac, de l’une de nos Peurs favorites, d’une inquiétude ou d’une angoisse, d’une tristesse ou d’une Idée fixe, du Guetteur, du ‘Bavard Intérieur’, de la Distraction Mentale, du ‘P’tit Vélo’ dans la tête, du Vagabondage de l’Attention, etc., Il peut donc être répété tout au long de la journée, voire de la nuit en cas d’insomnies chroniques.

J’ai pas le temps, et pas l’énergie

Devant un tel programme, qui lui semble à juste titre destiné à lui pomper toute son énergie, et oubliant qu’il est à l’origine desdits processus de souffrance[2] , l’EgoSystème a l’habitude de protester à sa façon dont voici un grand classique:

«C’est bien beau tout ça, mais tu ne te rends pas compte! Tu veux que je fonctionne en Esprit d’Éveil tout le temps, mais j’ai trop à faire déjà, trop à penser, trop à gérer.»

Ce discours révèle que l’Ego continue à maitriser presque tout le terrain de conscience disponible. Ego-moi continue à penser la réalité en système binaire: «Ou bien je fonctionne en esprit d’Eveil, (sous entendu, j’ai le temps d’aller bien), ou bien je n’ai le temps de rien parce qu’il faut que j’assure le quotidien (sous entendu, il faut que je maitrise tout et là, l’Esprit d’Éveil ne peut me servir à rien).» Dans cette logique, Ego-nous n’avons surtout pas le temps de porter un regard de conscience sur ce que fait notre esprit, par définition.

En traduction: Ego-nous continuons à penser que l’Esprit d’Éveil ne peut pas servir à gérer le quotidien et que les modes de gestion ordinaires (précédents et classiques) doivent continuer à être appliqués. Or, ce sont précisément ces modes de gestion pilotés par l’EgoSystème à notre insu qui fabriquent la souffrance. Cette situation d’aveuglement absurde mais inconsciente est rangée par le système bouddhiste dans la catégorie ignorance/stupidité/paresse.

Cela signifie que les modes d’emploi essentiels qui servent à empêcher l’Ego d’occuper notre espace-temps de conscience n’ont pas été compris et ne sont pas employés. Tant que les exercices dont j’ai parlé plus haut ne sont ni intégrés, ni pratiqués de façon régulière, de façon quasi automatique, c’est-à-dire, en appliquant une discipline régulière sans aucun effort particulier, c’est toujours l’Ego qui pilote un(e) aveugle inconscient(e) qui continue à détester ses routines d’existence ordinaires et à en souffrir en proclamant néanmoins: «Je ne peux rien changer pour l’instant, c’est l’enfer tous les jours et il est nécessaire de me plaindre, mais tout va quand même pour le mieux: je gère! La méditation, je verrai ça quand ça ira mieux.»

Même si bien autres aspects d’Éveil sont devenus conscients, au bout de quelques années d’entraînement approximatif, par exemple, cela signifie qu’ils sont encore utilisés par notre Ego à notre détriment.

Ce ne sont pas les événements de la vie courante qui fabriquent la souffrance mais notre petite conscience malade de l’Ego (celle que j’appelle Ego-moi) qui interprète ce qu’elle vit comme saturée, surbookée, et donc, souffrante, intolérable, insupportable, etc. C’est le processus de souffrance qu’il s’agit de comprendre, quelles que soient les conditions extérieures.

Et lorsque nous parvenons un moment à cesser de souffrir, comme par hasard les solutions permettant de vivre le même emploi du temps de façon différente deviennent brusquement perceptibles et leur mise en œuvre également.

« Déclarer la guerre à l’ego »: En situation d’enseignement direct, j’utilise parfois de façon volontaire cette expression imagée pour avoir une chance d’être un peu entendu. En termes de logique oubienoubien simpliste, le terme « guerre » induit une notion de combat et de lutte qui peut sembler incompatible avec celle de lâcher-prise. La réalité est plus complexe et doit se contempler en termes de processus:

Cette « déclaration de guerre » est dans un premier temps nécessaire. Aux niveaux inconscients, l’Ego doit recevoir de notre part le message clair que nous en avons assez (de souffrir), que nous avons pris la décision de conscience de ne plus le laisser piloter votre existence sur la base de sa paranoïa et de son hystérie destructrice; il doit désormais s’attendre de notre part (de conscience d’éveil) à une vigilance de tous les instants: c’est ce que signifie occuper la place. L’énergie d’attention ainsi mobilisée est directement prise en conscience sur l’énergie de peur fondamentale disponible. Autant dont l’Ego ne disposera pas.

Pour être efficace, cette déclaration de guerre doit s’accompagner de la pratique systématique des modes d’emploi. Il est prudent également de faire vérifier par ‘l’ami spirituel’ si notre façon de pratiquer est correcte. Dans le cas contraire, il n’y a aucun doute sur l’issue de cette omission: l’Ego gagne toujours la partie.

Par la suite, comme nous le ferions avec un jeune chien indiscipliné que nous devons dresser, plus l’EgoSystème se conduira bien, plus nous le remercierons et moins la guerre sera nécessaire. Chaque étape en son temps.

Réaliser simplement le possible au présent.

«Ne rien faire» en Esprit Ordinaire porte en langage courant le nom d’oisiveté qui est défini dans nos proverbes comme «la mère de tous les vices». J’appelle cette situation un «boulevard pour l’Ego», un véritable champ libre, une jachère de conscience qu’il va se charger d’occuper par tous les moyens compensatoires possibles, dépressions, somatisations et addictions comprises.

«Ne rien faire» en Esprit d’Éveil veut dire «Non Agir». Cela constitue un accomplissement coordonné de la Méditation, de la Conscience Corporelle et du Travail Intérieur. Le ‘monde ordinaire’ produisant de façon continue quantité de situations auxquelles nous devons faire face de mieux possible, nous avons intérêt à développer le maximum de clairvoyance et de tranquillité d’esprit pour nous placer en situation de réactivité, d’objectivité et d’efficacité maximale.

Toutes les stratégies consistant à occuper la place de [notre] conscience à la place de l’Ego reviennent à empêcher de façon préventive et par tous les moyens ce système-peur hautement réactif de prendre le pouvoir à notre insu. Symboliquement, la bande dessinée de René Goscinny IZNOGOUD, (le Grand Vizir qui veut devenir calife à la place du calife) décrit parfaitement la situation.

C’est pourquoi, du point de vue du T.I., l’ensemble des moyens habiles employés et des conditions-contextes à configurer pour parvenir à ce résultat peut assez justement être résumé dans cette formule:

En Esprit d’Eveil et en Conscience Corporelle,
sans interprétation ni préoccupation,
sans volonté de puissance ou de domination,
sans volonté d’aboutir ni esprit de profit,
sans espoir ni attente, ni dedans ni dehors,
réaliser simplement le possible au présent.


[1] Ce terme signifie que l’entraînement n’est pas réalisé de façon automatique, mécanique, mais que chaque pratique donne l’occasion de rappeler
[2] Voir Leçon n°33: Poisons et Passions