Nouvel An

Le soir du Nouvel an, une demi-heure avant minuit, dans son petit village d’Akhéshir en Anatolie, Nasrudin reste introuvable. Les habitants de son village n’en continuent pas moins à faire la fête ensemble, comme il se doit. Quelque temps après minuit, Nasrudin rejoint les fêtards, plutôt refroidi par le gel de la nuit.
– Alors Nasrudin, où étais-tu passé pendant l’heure fatidique?
– Dehors. Je voulais voir s’il se passe quelque chose.
– Et alors?
– J’ai bien regardé. Je peux vous confirmer qu’à minuit, pendant la nuit du Nouvel an, dehors il ne se passe absolument rien.
– Tu es aussi sot que d’habitude. La fête a eu lieu au chaud, dedans, pendant que tu étais au froid, dehors.
– La fête, oui, je sais bien. Mais comme il ne se passe rien, je soupçonne cette histoire de Nouvel An d’être une escroquerie.
– Que veux-tu dire?
– Savez-vous ce que vous fêtez? demande Nasrudin.
– Eh bien… le Nouvel An!
– Ah non! J’ai vérifié. Il ne s’est rien passé! Et vous dedans, avez-vous vu passer quelque chose qui ressemble au Nouvel an?
– Bien sûr que non! Que voulais-tu que nous voyions?
– Alors c’est ce que je disais, conclut Nasrudin. C’est une escroquerie.
– Eh bien soit, lui disent les fêtards, admettons. Mais as-tu au moins trouvé pendant que tu te gelais les fesses une bonne raison pour nous de fêter le Nouvel An quand même?
– Oh oui! Il me semble que l’existence est un exercice suffisamment périlleux pour que les gens qui ont réussi à y survivre un an de plus se retrouvent pour fêter le fait d’y être arrivé.

 

D’après les œuvres d’Idries Shah, Ed: Courrier du Livre