Leçon n°7 – Les 5 emplois du verbe «être»

Les mots font partie de notre univers quotidien; leur mauvais usage peut gravement perturber notre compréhension des événements, nos réactions émotionnelles et sentimentales, nos comportements et nos décisions conscientes et inconscientes.

Dans la rubrique «grammaire française», nos professeurs de français nous ont appris l’usage du verbe être. Un seul verbe être. En revanche, ils ne nous ont pas appris que notre langage courant compte cinq emplois du verbe être fort différents.

Ni que la façon dont nous les employons a des conséquences importantes et désastreuses sur notre organisation mentale. Cette dernière est habituée par définition à interpréter tout ce qu’elle perçoit, à lui à donner du sens le plus vite possible et en cas d’ignorance, à privilégier les amalgames au lieu des différences que voici:

  1. « Est » d’existence: «Avant qu’Abraham fut, Je suis
  2. « Est » auxiliaire d’état: Il est en train de travailler. Elle est sortie.
  3. « Est » d’identité formelle: Il est coupable. C’est la liste. C’est la règle.
  4. « Est » d’identité inconsciente (sujet 1, verbe, sujet 2): La rose est une fleur. Gorges est plombier.
  5. « Est » de prédication (sujet, verbe, adjectif): Joséphine est jolie. La rose est rouge.


1) « Est » d’existence

Emploi très rare, réservé aux domaines métaphysiques, religieux, philosophiques, etc. Ce verbe être n’est suivi par rien, si ce n’est un point, qui signifie «c’est tout».  C’est tout… ce qu’il est possible de dire avec des mots. Sans les mots, la vie vit sa vie. Les mots fonctionnent comme des évocations-symboles de ce qui advient aux niveaux silencieux. Cette formulation elliptique («je suis») renvoie à une perception de la «réalité» dite «directe» qui ne passe pas par les langages verbaux, et qui ne se trouve pas conditionnée par eux. Pour les mystiques, il s’agit à la fois d’un moyen habile et d’un aboutissement de l’expérience de la «réalité».

 

2) « Est » auxiliaire d’état

Lorsque je dis: «Il est en train de travailler», le verbe être exprime au présent ce qui se passe, ce qui peut être constaté ici-maintenant. L’action décrite ensuite porte sur le fait de travailler. Si j’ai envie de décrire encore plus fidèlement la situation, je peux compléter les informations en disant: «il me semble que», «je crois que», «je pense que». Pour décrire une action passée, il suffit de dire: «Il était en train de travailler.» Cette façon de parler n’induit pas de confusion directe au niveau de ce qui se passe. Il est presque toujours possible de le remplacer par «se trouver».

 

3) « Est » d’identité formelle

Le mot «formel» renvoie à une question de ‘forme’, pas de ‘fond’. Cette distinction vient du domaine juridique dans une acception particulière où le fait de «dire» correspond à «faire». Par exemple, lorsqu’un jugement déclare que quelqu’un est coupable, ou innocent. Mais ce cas de figure s’applique aussi à l’énoncé d’une liste. Dans ce cas précis, la liste est l’énoncé, et réciproquement. Idem lorsqu’il s’agit d’une règle de droit ou de jeu. C’est la règle, c’est la loi.

 

4) « Est » d’identité inconsciente

Le « est » d’identité  s’exprime ainsi:  « Une rose est une fleur ». Comment une rose en particulier peut-elle être une fleur en général? Toutes les fleurs ne sont pas des roses et toutes les roses ne sont pas des fleurs. Les catégories et les caractéristiques qui s’appliquent au mot [rose] ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent au mot [fleur]. Cette déclaration fausse par rapport aux faits confond la partie et le tout, les niveaux individuels et les niveaux collectifs et produit cette confusion autant pour qui énonce cette phrase que pour qui l’entend.

 

5) « Est » de prédication  

Le mot «prédicat» vient du latin pre-dicare, qui signifie dire au-devant d’où les sens de proclamer, annoncer, publier, et enfin prêcher. En langage courant, le «prêcheur» désigne celui qui vante les mérites de sa religion, de sa méthode, et qui essaye de convertir les autres à ses idées. La locution française dit: prêcher pour sa paroisse. En grammaire française, les mots prédicat et attribut sont synonymes. At-tribuere veut dire donner à quelqu’un quelque chose au cours d’un partage, d’où l’idée de donner une qualité à. L’attribut fonctionne en réalité comme un adjectif, à savoir un ajout. Ces deux idées, la proclamation et le fait d’accoler une qualité, une évaluation, un jugement, le fait d’adjoindre un adjectif à un nom ont leur importance qu’il faut garder à l’esprit pour comprendre l’explication qui suit.

Quand nous disons « Joséphine est jolie », notre façon de parler ne décrit pas ce qui se passe correctement. Elle n’est pas similaire aux  faits, et il peut même arriver qu’elle les falsifie. Le caractère « jolie » vient de nos façons de parler-penser, de notre savoir, de nos critères d’évaluation collectifs et personnels, etc. Or, cette façon de parler proclame au contraire que le caractère «jolie» est dans Joséphine, inséparable d’elle; celui/celle qui est en train de parler formule de façon absolue et impersonnelle une simple évaluation relative et personnelle. Il s’agit bien d’une déclaration fausse par rapport aux faits. Cette façon de parler fabrique de la confusion autant pour qui énonce cette phrase que pour qui l’entend.

De façon semblable, si je dis « La rose est rouge », cette façon de parler ne décrit pas correctement les faits. Dans la rose, nous pouvons trouver seulement ce que nous appelons des vibrations électromagnétiques, mais pas de la « rougeur ». Ceci s’applique à toutes les perceptions des « sens ». Vous ne pouvez pas dire que «le sucre « est » sucré». Ces jugements et ces adjectifs sont issus de notre savoir, ils ne se trouvent ni dans la rose ni dans le sucre. Alors quand nous parlons comme si [la douceur] était dans le sucre, [la couleur] dans la rose et [la beauté] dans Joséphine, notre discours est faux par rapport aux faits. Avec cette formulation incorrecte, celui/celle qui parle oublie et fait oublier que c’est lui/elle qui s’exprime et qui trouve/perçoit/ressent etc., Joséphine jolie, le sucre doux, la rose rouge, etc.

Etymologie: Ignorer l’emploi juste de ces 5 « est » entièrement différents conduit souvent à des catastrophes. En être conscient évite bien des ennuis! Il s’agit de bien comprendre le mécanisme mental fondateur de cette confusion et que nous appelons le mécanisme d’identification:

 

Identité,  Identique, Identifier

Le mot «Id» est issu d’une famille monosyllabique ei; i que l’on retrouve dans l’allemand ‘Ich’ (je) et en anglais ‘I’ (je). Les autres termes qui en découlent sont:

Is, ea, id: celui (masculin),  celle (féminin), cela (neutre)
I-pse: lui-même, elle-même, cela-même
I-dem, ea-dem, i-dem: le même, la même, le même (en neutre)
Hic, haec, hoc: celui-ci, celle-ci, ce-ci
Ibi: ici, > à ce même endroit, qui a par conséquent donné le mot  > Al-ibi: ailleurs qu’ici.
Iam, ou Jam: au moment-même où je parle  > Dé-jà (vers le passé), Ja-mais (vers l’avenir)

 

Même

Origine monosyllabique: me: moi. Me-me: renforcement / doublement de me: moi. Le mot «même» qui sert au départ à renforcer l’attention sur le sujet a donné toutes les façons de parler en «je me». Et lorsque ça ne suffit pas, nous disons «moi-même en ce qui me concerne personnellement». Voilà pourquoi quand «je me demande»… j’ai souvent du mal à me répondre! En traduction littérale et mot à mot, cela donne:

Id (cela-même)enti (être)ficare (faire) qui signifie/implique faire être – cela – le même

Au niveau des faits, Identifier signifie donc se comporter, faire comme si deux choses différentes étaient les mêmes, autrement dit une seule-même chose unique.

 

Commentaires

Il s’agit d’observer et de prendre conscience que nous avons 5 « est » de sens différents et pourtant nous n’avons qu’un seul mot pour les désigner. C’est pourquoi l’emploi du verbe être dans notre langage courant nous conduit à autant d’erreurs, de confusions, de mélanges, avec ce qui en résulte, à savoir les incompréhension et  incommunication qui génèrent les échecs, les conflits et une bonne quantité de désordres ordinaires.

À quelques exceptions près, le « est » de prédication et le « est » d’identité sont presque toujours faux par rapport aux faits. À celui qui est capable de les observer dans le discours (de soi et des autres), ces deux usages révèlent que celui qui s’en sert est en train de confondre (consciemment ou pas, cela reste à vérifier) plusieurs niveaux de réalité différents. Le mot «est» ne prévient pas, et nous sommes conditionnés à l’employer (comme le verbe avoir) sans jamais y faire attention. C’est vraiment notre problème d’appliquer notre attention et un discernement constants pour éviter de nous faire piéger.

Dès que je parle/pense, (à voix haute ou en pensées) c’est mon organisme tout entier, (ce que nous appelons mon «organisation mentale») qui entend le premier le son de ma voix. Et il a une tendance naturelle à croire que tout ce qu’il perçoit est vrai de façon indifférenciée. Mon travail de conscience consiste donc à vérifier le plus précisément possible comment ce qui se dit ‘colle’ avec ce qui se passe.

 

Comment utiliser cette connaissance dans votre existence?

1°) Commencez par faire intérieurement en disant à voix basse ou haute STOP! «N’EST PAS! chaque fois que vous entendez un verbe être se produire dans le discours de quelqu’un, et/ou aussi dans le vôtre. Exemple: vous entendez Jules dire ceci:
«Albert est stupide. Sa société n’est pas viable.»

2°) Vous prenez le temps d’étudier/vérifier ce en quoi  l’emploi du verbe «être» peut n’être pas valide:

Observez s’il s’agit de l’un des deux verbes être à risques. Si c’est le cas, cela signifie qu’il y a des confusions dans l’air, et qu’il vaut mieux étudier de près la question avant que les ennuis n’arrivent. Étudier de près signifie discerner les éléments qui ont été mélangés de façon à les séparer et à établir en dehors du verbe être, leur véritable relation.

Albert (personne physique) vit sa vie. Sa société (personne morale) «vit» la sienne. Et ceci mis à part, sous couvert d’une formulation/jugement absolu, à l’emporte pièce, c’est Jules qui juge, parle et exprime son avis. Sa formulation ne dit pas qu’il ne s’agit que de son avis personnel, relatif, dépendant de ses capacités et de ses limitations. Elle ne parle que d’Albert pendant que Jules reste bien caché. Dès lors que c’est Jules qui parle, la formulation doit en tenir compte.

3°) vous cherchez comment reformulez à haute voix  la proposition cette fois-ci corrigée.

Jules a dit qu’Albert se conduit de façon stupide et qu’il trouve que sa société n’est pas viable.

Plus généralement et par extension:
Je ne suis pas «Jacques Dupont». Je ne suis pas mon nom. Il m’a été donné à ma naissance.
Je ne m’appelle pas non plus Jacques Dupont. Ce sont les autres qui s’en chargent à ma place.
Je ne suis pas plombier, ni administrateur de société. Je fais ce métier. Et pas que celui-là.
Je ne suis pas musicien. Je joue du violon, du piano, parfois bien, parfois mal, etc.
Albert n’est pas stupide. Mais il se comporte parfois de cette façon, à l’occasion.
Mon travail n’est pas pénible. Je le trouve pénible certains jours. D’autres, non.
La lampe n’est pas jaune. Je la vois jaune notamment parce qu’il y a de la lumière, et par que ne je nuis pas daltonien. Quand il n’y aura plus de lumière, je ne la verrai plus. Où sera le ‘jaune’?

4° ) Et remerciez le Gardien KÈSKEÇÈ (en Attention seconde) d’être fidèle au poste et d’avoir bien fonctionné!
Vous avez oublié qui est le Gardien KÈSKEÇÈ? Retournez voir la liste des gardiens dans la leçon n°5.