Leçon n°28 – Croyances et Prémisses

Les Croyances

Faciles à repérer, nos croyances s’énoncent par «je crois» et elles conditionnent en pratique toutes les décisions et les orientations que nous sommes amenés à prendre dans notre existence ordinaire. Nous en sommes vaguement conscients et nous savons aussi que nous avons beaucoup de mal à remettre en question ces croyances, tant elles nous semblent nous constituer.

Par exemple, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) était parti du point de vue suivant: «L’homme est naturellement bon. C’est parce que la société l’abîme que les choses ne vont pas aussi bien qu’elles le devraient. Même si les événements du monde semblent montrer le contraire, nous devons croire à cette bonté naturelle et en y croyant, cela se fera.»

Alors que de son côté, Voltaire (1694-1778) répondait: «Tu ne me la feras pas: tu crois que l’homme est naturellement bon, mais moi, je demande à voir. Moi, pauvre Voltaire, ignorant, sot et imbécile de nature, je constate que tous mes contemporains passent leur vie à se battre et le résultat est franchement lamentable. Je veux bien que tu t’illusionnes, mais moi, je n’accepte pas de croire que l’homme soit naturellement bon. Cela ne correspond ni à mon expérience, ni à la tienne.»

Cette discussion à propos de nos croyances les plus fondamentales est le genre de conflit philosophique sur lequel nous continuons de vivre actuellement. Quelle que soit notre ‘opinion’, elle fonde toutes nos actions…

Le discours philosophique n’est pas le seul à conditionner nos existences. La vision religieuse, mystique ou spirituelle est également présente. Elle peut dire par exemple ceci: «Même s’il y a quelques bons moments, il est facile pour quasiment tout le monde d’admettre que la réalité de l’existence est la souffrance, la maladie, la naissance, la mort et des ennuis tout le temps». Alors, une fois ce constat fait, à quoi sert-il de se persuader que l’on a été créé pour être heureux (ou pas) à partir du moment où la réalité est celle-ci? Voyons cela:

Si je crois que «Je suis né pour être naturellement malheureux.», ce n’est vraiment pas la peine que je me donne du mal pour essayer de faire ce qu’il faut pour arrêter de fonctionner de façon malheureuse. Que Dieu soit responsable ou pas de ce qui se passe, c’est une question autre et subsidiaire. Si je crois que «Je suis fait(e) pour être malheureux, que c’est mon destin quoi que je fasse.», tous les aspects et les fonctionnements malheureux de ma vie vont se présenter à moi comme des évidences à accepter et à supporter car ce qui n’est pas normal, c’est d’aller bien. Si mon état naturel est le drame et l’inquiétude, je vais automatiquement exclure et rejeter de ma vision de la normalité tout ce qui vient s’opposer au drame et à l’inquiétude. Je vais interpréter tout ce qui m’arrive en fonction de cette vision-là: «Je suis né pour souffrir et être malheureux; ce qui arrive me rend malheureux, donc ce qui arrive est normal». Est-ce que je peux un instant croire un discours qui me dit: «Ton état normal, c’est d’être heureux.»? Sûrement pas. Cette logique précise et implacable n’aime pas être mise en doute.

Maintenant, imaginons la solution inverse, une autre sorte de normalité:

Si je crois que «Je suis né pour être naturellement heureux.», je vais essayer de faire ce qu’il faut pour arrêter de fonctionner de façon malheureuse. Que Dieu soit responsable ou pas de ce qui se passe, c’est une question autre et subsidiaire. Si je crois que «Je suis fait pour être heureux.», tous les aspects et les fonctionnements malheureux de ma vie vont se présenter à moi comme des parasites et comme des événements à arrêter d’urgence car ce qui n’est pas normal, c’est de souffrir et d’aller mal. Si mon état naturel est la tranquillité, je vais rejeter de ma vision de la normalité tout ce qui vient s’opposer à la tranquillité. Je vais interpréter à ce moment là tout ce qui m’arrive en fonction de cette vision là: «Je suis né pour être heureux: ce qui arrive me rend malheureux, donc ce qui arrive n’est pas normal.» Est-ce que je peux un instant croire un discours qui me dit: «Ton état normal, c’est d’être malheureux.»? Sûrement pas parce que c’est une idée que je n’aime pas. Cette logique précise et implacable n’aime pas non plus être mise en doute.

Il y a d’autres hypothèses à contempler en plus de ce ou-bien-ou-bien. En voici quelques unes:

  1. «Je ne crois à rien de particulier.»
  2. «Je ne sais pas si je crois à quelque chose.»
  3. «Je ne crois que ce que je vois.»
  4. «Je me refuse à croire qui ou quoi que ce soit.»
  5. «Je crois que Dieu existe, même si je ne l’ai jamais senti.», etc.

 

Les Prémisses

Autant les croyances sont apparentes, autant les prémisses restent inconscientes. Le terme «Prémisses» veut dire Croyances ‘placées juste avant’ exprimées de façon logique. Parce qu’elles sont inconscientes, nous n’en tenons jamais compte alors même qu’elles conditionnent en profondeur et la plupart du temps tous les fonctionnements de notre conscience corporelle, nos façons de nous comporter, nos façons de nous ‘penser’ malades ou bonne santé, etc., toutes les dimensions fondamentales de notre existence.

Dans l’exposé des 4 premières figures de logique ci-dessus, avez-vous assez remarqué qu’il existe 2 sortes de «je crois que»? Non? Pour faciliter la compréhension, je vais les écrire en les indexant:

  1. Je crois1 que «Je ne crois2 à rien de particulier.»
  2. Je crois1 que «Je ne sais pas ce que je crois2.»
  3. Je crois1 que «Je ne crois2 que ce que je vois.»
  4. Je crois1 que «Je me refuse à croire2 qui ou quoi que ce soit.»
  • Celui indexé N°2 est le «je crois2» visible, audible, proclamé et apparent. C’est ce que je dis que je crois; j’en suis seulement conscient de façon ordinaire. Et lorsque je le prononce à haute voix, il ne me vient pas à l’idée de le mettre en doute.
  • Celui indexé N°1 est le «je crois1» invisible, inaudible, silencieux et caché. C’est ce que j’ignore que je crois; j’en suis vraiment inconscient de façon ordinaire. Et je suis bien incapable de le prononcer à haute voix puisqu’il ne me vient même pas à l’idée de le dire.

Je viens de montrer que, quelle que soit la proposition que j’énonce, il est toujours possible de mettre «je crois1 que» devant. Le dépistage technique des prémisses, quel que soit le sujet, passe par la recherche de «Ce que je crois que je crois». Et lorsque je dis que «Je ne crois à rien», cette façon de parler/penser est fausse par rapport aux faits. En réalité, je crois à ce que je dis sans le savoir, c’est-à-dire sans conscience. La vérité est plutôt: «Je crois que je ne crois à rien». Cette question est assez importante puisqu’elle nous donne accès aux bonnes façons de dépister bien des processus inconscients qui conditionnent à notre insu nos choix de conscience.

Dans ces 4 exemples, nous sommes presque toujours aveugles à propos du «je crois1 que», celui qui se produit naturellement aux niveaux silencieux et organiques, alors que c’est vraiment celui-là le plus important, le plus puissant et le plus conditionnant, parce qu’il reste inconscient.

 

Les racines énergétiques

C’est bien à ces niveaux silencieux de réalités biologiques et cellulaires que se joue la qualité de notre investissement énergétique dans l’existence. Autrement dit, les psychanalystes l’appellent «la pulsion de vie», Jung l’appelle «la Libido» (avec un L majuscule)». Et les gens ordinaires comme nous l’appellent l’envie d’exister.

Il faut bien comprendre que nous ne pouvons pas faire autrement que de croire à ce que nous faisons. Conscients ou pas, nous sommes biologiquement programmés comme ça. C’est une véritable condition sine qua non de l’efficacité ordinaire. Dans le cas contraire, ça ne marche pas et l’histoire de l’âne qui meurt de faim à force d’hésiter entre un chou et une carotte est là pour nous le rappeler.

Avant même de se poser la question du sens de ce qui se dit, rappelons-nous que parler veut dire d’abord faire du bruit avec la bouche. Si personne n’est là pour mettre en doute la pertinence de n’importe laquelle de mes affirmations péremptoires, dès que j’exprime à haute voix n’importe quelle verbalisation semblant avoir du sens (telles que les 4 que j’ai listées), mon organisation mentale est programmée pour croire2 dur comme fer à ce qu’elle m’a entendu dire sans jamais penser à mettre en doute la pertinence de cette nouvelle énonciation de croyance1 qui vient de sortir. Elle va également ignorer que cette énonciation vient aussi renforcer les précédentes croyances 1 et 2 qui sont stockées en mémoire cellulaires aux niveaux organiques et silencieux.

 

Dépister et Invalider les croyances

À ce stade, la question qu’elle soit vraie, fausse ou indéterminée ne se pose même pas. Sa validation inconsciente est en revanche garantie! L’exercice du Stop et le processus de  Vérification sont donc une fois encore les outils de conscience appropriés qui permettent d’invalider les croyances[1]. Et je suis fondé(e) à le faire dès que je m’entends prononcer n’importe quelle affirmation péremptoire, même si elle semble avoir été vérifiée (à commencer par la plus fréquente: «je suis quelqu’un qui…»). Ici, le gardien TUCROIÇA est le Dépisteur attitré de cette ignorance pathogène[2].

Dans ces conditions la vraie question qui se pose se formule plutôt ainsi: «Sachant que la Vérité Absolue n’existe pas, sur quel genre d’illusion, quel genre de croyance (ou des deux à la fois) vais-je choisir de vivre?»

Pour y répondre dans les faits, je dois faire le tour de toutes les questions que je suis capable de poser, prendre la mesure de mes limitations, de mes incompétences, de mes aveuglements éventuels et des ignorances que je ne peux que laisser en place, et vérifier au mieux la cohérence de mes actes avec les territoires concernés. Ensuite, je peux choisir de croire à la version de la ‘réalité’ qui me convient le plus, et qui me paraît suffisamment crédible à mes propres yeux et suffisamment proche de ce que j’intuitionne de ladite ‘réalité’.

Nous pouvons appeler cela un choix de conscience.

 

Définition

Le terme «prémisse», employé en sémantique générale et en logique formelle, signifie en effet: une proposition (consciente ou inconsciente, énoncée ou pas) qui sert de fondement (conscient ou inconscient, énoncé ou pas) à des actes, des décisions, des réflexions, des comportements, des croyances, etc.; étymologiquement, le terme signifie «placé devant, ou avant».

En Travail Intérieur, la recherche des prémisses passe par l’énonciation verbale, et si possible écrite de préférence (voir Leçon n°6: Expérience, Parole et Écriture). En effet, la façon dont s’exprime ‘instinctivement’ une prémisse permet de déceler s’il y a à l’œuvre, aux niveaux silencieux et inconscients, un vice de forme quelconque dans l’interprétation que quelqu’un se fait de la (sa) situation.

Une fois exprimée, la ‘carte’ viciée peut être corrigée en conscience au niveau des mots 1°) par écrit (écriture/impression manuelle/tapée sur papier) et 2°) à haute voix (expression parlée sonore) de façon à provoquer la modification organique de l’interprétation consciente et des comportements qui s’ensuivent au niveau des faits.

Si ce travail n’est pas fait précisément et humblement, alors la compréhension reste intellectuelle, et la mise en œuvre des modifications comportementales et organiques et ne se fait pas; dans le réel factuel et silencieux, il ne se passe vraiment rien. Et lorsque le «même» souci se représente plus tard, parce que je me fais piéger dans une situation nouvelle dont tout mon entourage (sauf moi) est capable d’identifier une forme voisine et reconnaissable du piège précédent (invariant de structure), je me plains et je dis: «Il me semblait pourtant que  j’avais bien compris!»

C’est là où nous faisons à chaque fois le constat que nous ne sommes pas de purs esprits et que l’intellect n’est qu’une fonction partielle de la conscience globale. Elle est toujours insuffisante prise isolément[3]. Mais en principe, il est trop tard. Il eût été prudent de s’y prendre avant. Après tout, le mode d’emploi existe, non?

Pour conclure, j’ai entendu bien des fois cette question qui se pose comme face à un grand vide: «Mais enfin, il faut bien croire à quelque chose ou à quelqu’un, non?»

La 1ère réponse est «non». Elle répond directement à l’idée de «il faut». Qui ordonne une croyance quelconque? Par qui suis-je contraint de? Cette proposition issue d’une conformité sociale collective est en réalité vide de sens individuel. Ce n’est ni utile, ni nécessaire d’en rajouter puisqu’au niveau personnel, le processus mental de ‘croire’ se fait tout seul.

Une 2ème réponse possible est celle-ci: il me semble en effet qu’aussi imparfaits que soient mes moyens de perception, de représentation et de connaissance, j’ai intérêt à croire à leur fonctionnement assez pour que cela puisse me motiver, et à en douter suffisamment pour que cela ne me rende ni crédule ni stupide.

Que du relatif. Il paraît que c’est le seul principe absolu, a dit ce cher Einstein!


[1] Voir Mode d’emploi n°4: Invalider la Souffrance ou l’Apprenti Sorcier
[2] Voir Leçon n°5: Les Gardiens du Langage courant
[3] Voir Leçon n°15: Les 9 Consciences