Leçon n°44 – Compte rendu

Nota bene: Pour comprendre cette leçon, il est nécessaire d’abord de (re)lire la leçon n°6 (Expérience, parole et écriture).

L’entraînement du Travail Intérieur tel que je l’enseigne accorde une grande importance à la pratique du compte rendu/débriefing aussi bien écrit que parlé. Cette pratique vaut la peine d’être employée 1°) chaque fois qu’il est question de formuler avec des mots le ‘contenu silencieux’ d’une expérience vivante 2°) chaque fois qu’il s’agit de re-formuler l’expression d’une compréhension silencieuse et/ou aux niveaux verbaux. Le tout de façon que la structure des formulations soit ‘suffisamment’ semblable à celle de l’expérience, condition nécessaire à ce que nous puissions leur faire confiance et nous en servir de façon efficace.

Lorsque carte et territoire ne présentent pas de structure semblable,
personne ne fait le voyage sans souci ni dommage.

Je désigne par le terme Travail intérieur un effort d’attention consacré à l’observation, la compréhension et la verbalisation des processus mentaux personnels et collectifs effectué en vue d’une transformation de la conscience. Il implique par définition un entraînement soutenu et efficace, c’est-à-dire la répétition d’exercices qui doivent être pratiqués jusqu’à ce que leur contenu et leur fonctionnement aient été intégrés aux niveaux ‘organiques’ et silencieux. Il s’agit d’une application pratique et individuelle de la Théorie Générale de la Connaissance, autrement dit, d’une épistémologie générale appliquée aux niveaux personnels.

Par commodité conventionnelle, c’est le vocabulaire de psychologie orientale qui est retenu. Ainsi:
L’objet de la recherche est appelé «l’esprit».
Ses deux modalités fonctionnelles sont appelées «esprit ordinaire» et «esprit d’éveil»
Les fonctions d’observation-contemplation sont appelées «‘États’ de conscience»
Les modalités énergétiques d’observation sont appelées «les attentions»
Le résultat organique des interactions intérieur/extérieur est appelé «configuration mentale»
L’organisme fonctionnant comme un tout est appelé «l’organisation mentale»
Le terme conscience désigne ce qui contemple au présent toutes ces activités mentales.

Avant de commencer et le Travail Intérieur et la Méditation, ces mots ne renvoient à aucune connaissance pratique, à aucun territoire personnel vivant et conscient. Par analogie, il s’agirait d’un conducteur de voiture qui ‘sait’ qu’il y a un moteur dans sa voiture, mais qui ne l’a jamais vu et qui ignore absolument tout de ses fonctionnements.

La méditation traditionnelle Vipassana a notamment pour objet de construire cette connaissance pratique. Sur son modèle, je considère la procédure tibétaine comme la plus efficace que je connaisse. Elle consiste à commencer le travail de méditation par:

  1. Une (série éventuelle) de prière(s) chantée(s), destinée à interrompre de façon organique et inconsciente la mainmise du pilotage égotique ordinaire sur ma conscience. Le fait de s’asseoir et de chanter suffit à informer en conscience l’activité égotique qu’elle peut arrêter sa vigilance constante et se reposer, à savoir, « laisser le monde dehors ».
  2. La mise en place en conscience de l’Esprit d’Éveil (la Bodhicitta en sanscrit) qui suit la mise au repos de l’activité égotique, à l’aide du Rituel de la Posture en 7 points. Il s’agit d’entrer au présent en un minimum de conscience corporelle, càd projeter l’attention ordinaire sur et dans l’enveloppe corporelle vivante en ajustant ses éléments ‘en gros’.
  3. Une fois la configuration mentale [de base] Esprit d’Éveil installée, la mise en place en conscience de la configuration mentale Méditation [beaucoup plus étendue] devient possible. Si cette progression par étapes organiques n’est pas respectée, l’Ego ‘me’ persuade tout de suite aux niveaux les plus inconscients que c’est bien ‘moi-ici-maintenant’ qui a décidé tout cela et qui suis en train de le faire!

Peut-être est-ce le moment de rappeler que les personnes qui travaillent sans méthode et sans guide vivant aboutissent presque toujours à une impasse parce que l’EgoSystème récupère très facilement la direction des opérations et qu’il parvient même à le faire très souvent dès le départ, au moment où ‘je’ décide d’apprendre à méditer et à la suite, à chaque fois que ‘je’ s’assoit pour pratiquer. Cette succession d’étapes est d’autant plus pertinente et importante qu’elle permet de savoir en conscience corporelle si je perçois les événements du monde à travers les filtres égotiques ou pas. Elle constitue la base de ma confiance en ce que je peux percevoir (formulation correcte) et non pas la « confiance en moi » (formulation réflexive incorrecte)[1].

L’application à la VONDTLJAQ (vie-ordinaire-normale-de-tous-les-jours-au-quotidien) suit le même principe:

  1. Si nous avons le ‘nez dans le guidon’, pas de recul, ni de stratégie ni de véritable intelligence possible de la situation. L’exercice du Stop! chaque fois que nécessaire symbolise, par analogie consciente, le fait de s’asseoir sur un coussin dans le but d’arrêter la direction de notre existence par l’Ego.
  2. La mise en place en conscience de l’Esprit d’Eveil qui suit la mise au repos de l’activité égotique, se fait à l’aide du Réglage de départ[2]. Il s’agit d’entrer au présent en conscience corporelle et en un minimum de temps.
  3. Une fois la configuration mentale [de base] Esprit d’Eveil installée, la mise en place en conscience des 5 attentions [très efficace pour ‘gérer’ le monde ordinaire] devient possible.
1. Attention Première ditephoto-tropique(conscience blanche cerveau/front)1
2. Attention Secondeditepanoramique(conscience rouge du ventre)1+2
3. Attention Troisièmeditebibliothèque(conscience cellulaire globale/peau)1+2+3
4. Attention Quatrièmeditecorporelle(6 tiglés + point d'assemblage)1+2+3+4
5. Attention Cinquième diteorganique globale(+ environnements ext/inté/rieurs)tous

Encore une fois, si cette progression par étapes organiques n’est pas respectée, l’EgoSystème ‘me’ (=mon esprit) persuade tout de suite aux niveaux les plus inconscients que c’est bien ‘moi-ici-maintenant’ qui a décidé tout cela et qui suis en train de le faire!

Le Retournement de l’attention (1ère) en méditation

D’un point de vue pratique (et hors situation d’urgence vitale), l’entraînement à l’intériorisation consiste, quels que soient les contextes extérieurs, à occuper le plus souvent possible la place de l’Ego[3]. Cela consiste à maintenir l’apport énergétique de l’attention première sur l’attention seconde et à profiter ensuite du balayage scanner-radar de celle-ci en interne pour observer le fonctionnement de tout ce qui peut s’agiter dans le champ de la conscience. Il s’agit donc notamment d’observer sans se laisser fasciner ni ’emporter’ par aucun, comment se succèdent, sur l’écran de la conscience les processus de:

Respiration, de battement cardiaque,
Sensations, (plaisir, douleur, anesthésie, non-sensation, etc)
Sautes d’attention et le vagabondage de l’esprit
Interventions de l’ego/peur (qu’est-ce que je fais là, c’est ridicule, etc.,)
Expressions et personnifications de l’Ego (Figures Cachées)

ainsi que:
Les émotions et les sentiments, (jouissance/souffrance etc.,)
Les pensées, les images, les mots, les souvenirs
Les bavardages mentaux (structurés à partir du langage verbal),
Les agitations mentales (erratiques et débordant le cadre limité du langage verbal)
Les processus d’interprétation et de jugement (positif, négatif, neutre etc.),
Les processus d’acceptation/attirance et de refus/rejet (j’aime j’aime pas), etc.,

Mais aussi:
l’absence de tous ces événements mentaux qui correspond au calme mental.
Les sensations/sentiments de bien-être, paix, plénitude, extase etc.

Le Calme Mental

Le calme mental se produit de façon logique et naturelle dès lors que les perturbations et agitations diverses de l’esprit cessent de se produire. Cette perception constitue le résultat de la mise au repos des perturbations et agitations diverses de l’esprit qui sont les différents paramètres sur lesquels il est possible de non-agir. Un peu comme les manomètres du tableau de bord d’un cockpit d’avion.

Cette réalité explique pourquoi il est inutile d’essayer de réaliser une méditation paisible ou à ressentir le calme mental. Chercher à, s’efforcer de, tenter de, vouloir obtenir, etc., sont autant de symptômes verbaux de la direction cachée de l’Ego. Ces formulations accompagnent toujours la volonté de puissance et de pouvoir inhérente au processus de ‘Saisie’ de l’Ego. Elle n’a rien à voir avec le genre de ‘volonté’ qui sert à s’entraîner sans but (but = je veux y arriver) ni esprit de profit (profit = je veux en tirer le maximum). Les termes applicables au processus d’entraînement sont plutôt: mobilisation énergétique, motivation, persévérance, détermination, application, etc. Leur cadre de mise en œuvre est la formulation: le possible au présent.

Le compte rendu

L’éternuement et le nez qui coule sont reconnus comme des symptômes classiques du rhume. La difficulté d’écrire un compte rendu d’expérience intérieure est un symptôme classique de l’action contraire de l’Ego, surtout si nous considérons que l’Ego fonctionne naturellement comme une pathologie de la conscience[4].

Dans le monde de la VONDTLJAQ, nous disposons de quelques standards qui en disent long sur la nécessité de faire attention à préserver notre sécurité, ainsi que la capacité de l’EgoSystème à nourrir nos mémoire et conscience avec des proverbes, par exemple:

Moins on en dit, mieux on se porte,
Pour vivre heureux vivons cachés
Si tout ce que je peux dire pourra être utilisé contre moi, j’ai intérêt à la fermer, etc.

Cela dit, en Travail Intérieur comme en Droit, notre mémoire ordinaire a des limites: Tout ce qui n’est pas écrit n’existe pas plus de quelques minutes, quasiment le temps de le dire! La capacité de l’Ego à jouer les essuie-glace de conscience semble illimitée. Et même si notre mémoire d’Éveil (qui utilise tout notre organisme au lieu du seul intellect) fonctionne de façon plus performante, seul le compte rendu écrit permet de fixer à long terme de façon efficace le contenu vivant de l’expérience. Tant que la mémoire inconsciente n’est pas passée par le travail des mains, elle fluctue facilement, et finit par disparaître.

Le contexte du Travail Intérieur est fondé sur un principe de sécurité des relations qui résulte de principes de non agression, de non violence, etc. Du point de vue du compagnonnage proche, chacun fait de son mieux à la mesure de ses moyens. Le véritable ‘ennemi’ se trouve au départ à l’intérieur de chacun de nous. La transmutation de l’ennemi EgoSystème en soutien d’intelligence existentielle constitue la raison d’être du Travail Intérieur et aussi du processus d’Individuation[5].

100% de ce que nous percevons est produit par notre organisation mentale qui interagit avec les phénomènes externes, mais aussi d’origine interne, qu’il y ait ou non des événements extérieurs ou pas. Quand à la proportion d’événements inconscients, elle me semble tellement forte que je ne peux même pas imaginer de donner un pourcentage quelconque.

Lorsque nous décrivons le plus précisément possible le compte rendu de nos expériences intérieures réalisées au cours de méditations, rêves éveillés ou non, massages, et tout autre entraînement approprié de l’esprit, nous écrivons en quelque sorte une page de notre dictionnaire de conscience personnel. Tant que ce travail n’est pas fait, toute expérience nouvelle repart rapidement aux niveaux inconscients, organiques et silencieux. Elle ne se transmute pas en connaissance pratique, sa recette ou le mode d’emploi pour renouveler l’expérience ne sont ni lisibles ni utilisables, et le travail d’organisation de cette connaissance en conscience ne se fait pas non plus. N’oublions pas que la construction de notre sentiment de sécurité se fait d’abord par l’éclairage conscient de processus habituellement inconscients.

Sans compte rendu d’expérience, et à défaut d’avoir écrit comme Marcel Proust, il ne nous reste plus qu’à partir à la recherche du temps perdu, dans les studios d’Egollywood!

Pour terminer, je souhaite citer Isabelle Aubert-Baudron (qui a fortement contribué à faire connaître la Sémantique Générale en France, dans son rapport Interzone de février 2013.

Comme annoncé dans le rapport précédent, les textes du “Temps des Naguals” sont maintenant (avril 2013) rassemblés en huit tomes, publiés par Interzone Editions, et disponibles en ligne en pdf (Le Temps des Naguals – Autour de Burroughs et Gysin également disponible en version imprimée, 135 pages).

Appliquer les fonctions non-aristotéliciennes de l’écriture:

En littérature, cette anthologie est une application des fonctions non-aristotéliciennes de l’écriture décrites et appliquées par Burroughs et Gysin sur la base de la Sémantique Générale:

  1. Fonction symbolique du langage (Korzybski): un mot est un symbole, un signe qui représente quelque chose, aussi l’écriture doit-elle représenter aussi précisément que possible les faits et les événements qu’elle décrit pour que le niveau des mots soit aussi similaire que possible à celui des faits, et la carte, aussi similaire que possible au territoire qu’elle représente.
  2. Fonction de time-binding (Korzybski): qui consiste à relier l’auteur et le lecteur à travers l’espace-temps: quand je lis un texte, je suis reliée à son auteur au moment et dans le lieu où il l’a écrit.
  3. Fonction magique, décrite et expérimentée par Brion Gysin et William Burroughs, qui consiste à créer la réalité: « L’écriture sert à faire arriver les événements » (Brion Gysin): « Mektoub, c’est écrit »: un écrivain écrit un scénario de la réalité que ses lecteurs peuvent ensuite actualiser dans leur propre vie, et créer ainsi leur réalité.
  4. Fonction collaborative: A travers le lien qu’elle crée entre l’auteur et le lecteur, l’écriture instaure une collaboration entre ceux-ci, qui produit, en fonction du principe de non-additivité mathématique (1 + 1 = 2 seulement en arithmétique; 1 litre d’huile + 1 litre d’alcool < à 2 litres), un phénomène appelé par BURROUGHS et GYSIN le ‘tiers esprit« . En matière de coopération humaine, 1+1=3.

« Gysin: … lorsque vous associez deux esprits… ,
Burroughs: … Il y a toujours un tiers esprit…,
Gysin: … Un tiers esprit supérieur…,
Burroughs: … Comme un collaborateur invisible. »

 

Rappel étymologique:
Col-laborer: signifie travailler ensemble
Co-opérer: signifie opérer, œuvrer ensemble


[1] Voir Leçon n°34: Je me demande à qui?
[2] L’exercice technique du Réglage de Départ ne figure pas dans les textes du Blog. Il est exclusivement transmis de façon vivante au cours des stages de Formation Diamant et du Massage de Conscience Corporelle.
[3] Voir Leçon n°40: Occuper la place de l’Ego
[4] Voir Leçon n°37: L’EgoSystème au masculin
[5] Voir Leçon n°14: Individuation Mode d’Emploi